La belle victoire des salariés de Nice-Matin : un défi économique et démocratique

On peut parfois avoir des doutes sur cette exception française : les tribunaux de commerce. Sur le fond comme sur la forme. Et à tout le moins souhaiter que ces institutions soient réformées, plus transparentes, voire que dans certaines procédures, à l'instar des conseils de prud'hommes, soient présents des juges salariés.

Mais aujourd'hui, ne boudons pas notre plaisir : le tribunal de commerce de Nice a donc choisi comme repreneur du quotidien régional... Nice-Matin une société coopérative initiée et portée par les salariés eux-mêmes. C'est réellement formidable pour tous les collègues de ce journal qui se battaient depuis des mois, qui ont imaginé un modèle alternatif crédible, qui ont sacrifié une part de leurs cagnottes personnelles (tel le 13e mois), qui ont su mobiliser un large public et des acteurs aux apports (en capitaux) plus importants.

Certes, comme le note Le Monde, des questions demeurent (à lire ici), notamment sur le rôle que jouera Bernard Tapie.

Et certes, encore, comme les représentants des salariés le disaient dès la sortie de l'audience, le plus dur commence.

Mais le fait que ce projet ait pu être jugé crédible, donc, moins destructeur d'emplois tout en étant solidement étayé juridiquement et financièrement, c'est un joli pied-de-nez à l'adresse de certains politiques (y compris au sommet de l'Etat) que l'aventure effrayait, et à l'adresse des groupes (dans le mode des médias comme ailleurs) qui ne jurent que par la concentration, la mutualisation (en l'espèce, des moyens voire des contenus), et qui continuent de penser que la seule variable d'ajustement, ce sont les effectifs, donc les salariés.

Dans le seul monde de la presse régionale, dont la proximité doit être évidemment le credo, on apprend dans le même temps que Ouest-France envisage de fermer des agences ou que Rossel (principal concurrent des salariés à Nice) supprime les accueils au public dans nombre d'agences en Champagne-Ardenne...

Pied-de-nez au credo de ces mêmes groupes qui n'ont toujours pas de stratégie définie et en tout cas... payante sur le numérique mais qui sacrifient la qualité du support papier (qui demeure pourtant la pierre angulaire des journaux régionaux, l'épine dorsale de leur chiffre d'affaires), en supprimant froidement (ou envisagent de) des métiers comme les secrétaires de rédaction ou les photographes, quand ce n'est pas la suppression d'éditions.

Mais, donc, le plus dur commence, et ce modèle alternatif, tandis que les vautours, le sourire narquois, observeront l'expérience en n'espérant qu'une chose, son échec, et en multipliant, on peut le craindre, toutes sortes de chausse-trappes, il va falloir le faire vivre, et même prospérer. Dans une région où les annonceurs institutionnels sont légion, qui plus est. Solidaires du projet, nous devons donc le rester pour l'aider et l'accompagner, sous des formes à définir. Et pourquoi pas, tout simplement, en nous abonnant ou en créant UNE SOCIETE DES AMIS DE NICE-MATIN ?

Défi économique, et défi démocratique : la presse n'est pas un secteur d'activité comme les autres (même si 1 + 1 = 2 et que l'impératif, même en SCOP, est de ne pas perdre d'argent !). A l'heure des réseaux sociaux, à l'heure où n'importe qui s'autorise à diffuser n'importe quoi ou presque, un journal de presse régionale doit demeurer une référence, un espace dédié à l'info locale, régionale et nationale, collectée, vérifiée, hiérarchisée et mise en valeur par des journalistes professionnels,  mais aussi un partenaire des initiatives locales citoyennes, associatives, publiques ou privées qui méritent de l'être, mais aussi et enfin un espace d'expression, de débat, un espace de liberté critique. Bref, aussi et enfin un contre-pouvoir.

Pour toutes ces raisons, bravo, bravo et encore bravo, amis niçois. Et bon courage !

Moi qui connais un peu Nice, j'enrage. J'aurais aimé aujourd'hui être à vos côtés, et savourer une bonne socca accompagnée d'un verre de rosé place Masséna...