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Mon blog-notes (et celui d'Abysse)
9 juillet 2014

Ils nous ont volé le Brésil de notre enfance

Dantesque, historique, incroyable... Les adjectifs et les superlatifs ne manquent pas pour qualifier le score de Brésil-Allemagne mardi soir. Car c'est évidemment moins l'élimination elle-même qui a surpris la planète (et pas seulement la planète... du ballon rond), que la manière dont l'équipe brésilienne a été littéralement surclassée, avec au final ce score tout simplement inédit à ce niveau.

Partageant et reprenant beaucoup de commentaires éclairés entendus ou lu depuis cette nuit (je pense à Pierre-Louis Basse ou Guy Roux, déjà cités ici il y a deux semaines, mais aussi à des analystes moins spécialisés mais tout aussi pertinents, comme Renaud Dély ou Claude Askolovitch), je vais tenter de lister quelques explications.

D'abord, évidemment, les choix techniques et tactiques pour le moins hasardeux de l'entraîneur Scolari. Pourquoi avoir maintenu Fred en pointe, par exemple ? Mauvais finisseur mais de par son physique doté d'une bonne de percussion et pénétration, Hulk, à la pointe de l'attaque, aurait sans doute davantage perturbé la défense centrale allemande... Pourquoi ne pas avoir choisi de positionner David Luiz dans l'entre-jeu, dès lors que le futur parisien est réputé pour être plus attiré par l'offensive que par son abnégation dans le travail défensif ? Pourquoi encore avoir désigné Thiago Silva comme capitaine, lui qui est si vite apparu, avant même l'entame de la compétition, tétanisé psychologiquement par l'enjeu et ses responsabilités ?

Mais il y a davantage à dire, il y a d'autres conclusions à tirer.

Le Brésil est tombé définitivement de son piédestal, un piédestal où nous-mêmes nous le placions inconsciemment depuis notre enfance, comme une sorte fantasme synonyme de beau jeu, de football champagne, technique, flamboyant, spectaculaire, nourri lui-même et nourris nous-mêmes d'images d'Epinal de gamins jouant sur les pages ou dans les ruelles escarpées des favelas avec des boîtes de conserve ou des boules de tissu. Sans tenir compte des aléas récents, le Brésil était pour nous, pour moi, resté le Brésil de 1958, de 1970. On ne pouvait ni ne voulait voir autre chose...

On n'a pas vu venir le drame, un drame pourtant prévisible, paradoxalement.

La mondialisation a tué ce Brésil-là. Les meilleurs joueurs évoluent en Europe. Ils quittent leur pays à l'âge de 13, 14 ou 15 ans. Ils ne sont plus nourris de la culture locale.

Le football brésilien s'est ouvert au monde et le monde l'a avalé, l'a gommé, l'a uniformisé. Et de surcroît, le Brésil 2014 n'étant pas le meilleur des millésimes, il n'a pas su se forger un minimum de cohésion collective, il n'a pas su se doter d'un minimum de rigueur, défensive entre autres.

Et donc, mardi, l'arbre qui cachait la forêt étant absent, le génial Neymar, la forêt est apparue bien fragile, ses arbres couchés et balayés au premier coup de vent. Et Thiago Silva suspendu, le dernier repère avait tout autant disparu. Avant le match, quand on a vu les joueurs brandir le portrait de Neymar, quand ils ont expliqué qu'ils allaient jouer pour lui, au fond, on aurait déjà dû comprendre et anticiper la suite : ils avaient, eux, consciemment ou non, déjà saisi l'ampleur du drame à venir. Abandonnés sur le Titanic sans capitaine ni vigie, ils allaient faire semblant de jouer en feignant d'ignorer que la coque était percée, béante.

Un ultime paramètre, et pas des moindres : on sous-estime sans doute à quel point la religion (les églises évangéliques entre autres) ont littéralement phagocyté l'esprit des joueurs (et d'une grande partie du peuple brésilien). Mais croire est une chose, avoir la foi est respectable, sombrer dans le mysticisme en est une autre. Ce mysticisme démonstratif vous égare, il vous enivre, il vous bande les yeux. La religion a depuis longtemps une place centrale dans la vie sociale et a fortiori privée des Sud-Américains (et des Latins en général). Mais de ce point de vue, sans doute a-t-on franchi des degrés supplémentaires des derniers temps.

En plein essor économique, le Brésil a investi en quelques années pour sa jeunesse, pour l'école, pour ses infrastructures, pour son économie davantage qu'en plusieurs décennies. Mais cela a donc eu trois conséquences : l'émergence de revendications nouvelles notamment des classes moyennes (d'où les mouvements sociaux d'avant et sans doute d'après mondial), la dilution d'une partie de son football et en troisième lieu, comme une sorte de pendant à l'essor des icônes de la mondialisation (Internet, par exemple) et des mouvements sociaux et alter-mondialistes, l'explosion des églises qui se présentent comme des repères, des points d'ancrage (souvent illusoires).

Pour ce qui est du football, en tout cas, c'est raté.

Adieu Brésil longtemps rêvé de mon enfance !

----  PS : ainsi que le remarque le photographe Th. Chantegret sur Facebook en commentant ce post, cela n'empêche pas ce mondial d'être un excellent millésime. 100% d'accord. Le foot mondialisé vaut mieux que le vin mondialisé. Il garde d'excellents tanins, et les notes de terroir n'y sont pas complètement noyées. Ouf.

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